Depuis quelques années, la gastronomie a le vent en poupe : émissions de télévision, livres de cuisine, chefs-superstar, cuisine artistique ou Food Design sur les réseaux sociaux, tout est fait pour nous faire saliver !
Et pour cause, notre assiette devient non seulement esthétique mais par-dessus tout émotionnelle. Les esprits créatifs responsables de ces insolentes douceurs fascinent le grand public et leur notoriété n’a pas de frontières.
Comment ne pas mentionner Pierre Hermé ou Anne-Sophie Pic mis à l’honneur lors de la conférence du Club ESSEC Luxe sur la transformation du business modèle de la gastronomie. Cette dernière se fait alors poétique, la cuisine devient Haute Couture et éclos au rythme du calendrier des défilés de mode. Pour en parler, le Club ESSEC Luxe a rassemblé cinq intervenants de grand talent aux expertises multidisciplinaires :
– Laurent Aron, sémiologue, directeur du Laboratoire de Créativité, Ecole Ferrandi
– Marc Bayard, conseiller culturel au Mobilier National, Initiateur du Slow Made
– Bénédict Beaugé, auteur, essayiste gastronomique
– Jean-Michel Duriez, parfumeur créateur
– Caroline Raymond, directrice Marketing et Communication, Maison Pic
– Nicolas Rizzo, responsable du développement, Institut National des Métiers d’Art
De prime abord, cuisine et mode semblent s’opposer : l’une des disciplines est volatile, l’autre intemporelle. Le point de liaison ne serait-il alors pas simplement l’émotion ? Alors, si la gastronomie a su depuis les années 70 se renouveler constamment, les chefs à l’instar des couturiers ou des parfumeurs deviennent de véritables icônes. Bénédict Beaugé, auteur, essayiste gastronomique, pense que les chefs jouent le rôle des créateurs phares des années 80. Selon lui, la cuisine créative a toujours eu un goût tout particulier pour la nouveauté. Parallèlement, le métier lui-même de chef est en mutation :il se professionnalise dès le XVIIIème siècle où l’on parle déjà de « cuisinier-artiste » mais le premier véritable modèle en sera Antonin Carême au début du siècle suivant. Il évoque alors plusieurs exemples concrets de chefs au parcours détonants : Auguste Escoffier s’associe, dès la fin du XIXème siècle, avec César Ritz pour créer, d’abord à Londres, puis dans le monde entier, des restaurants à la cuisine moderne. Plus tard, Fernand Point, dans un autre genre, s’impose comme le « père spirituel » de nombreux chefs de la Nouvelle Cuisine (les frères Troisgros, ou Bocuse, et bien d’autres encore) : le chef s’impose comme créateur.
Apparaît alors « l’ostentation » de la gastronomie en soit – au sens noble – et non de la beauté pure et simple d’une assiette. Anne-Sophie Pic avec la Maison Pic en est l’exemple phare. Par son intelligence créative, sa « patte », sa sensibilité, elle a su créer, adossée par des équipes marketing, un univers exclusif qui lui est propre, une vraie expérience de consommation gastronomique. Consommer un met ne serait-il pas avant tout consommer un signe? Un sens ? Puis, il semble ressortir du débat la question essentielle du « chef/marque » : la maison Pic devient un « repère sur un marché », un emblème, un sigle.
Par ailleurs, nous constatons que la gastronomie est également soumise à des « tendances » culinaires saisonnières qui façonnent, à leur niveau, les cartes des plus grands établissements. Cuisine moléculaire, choux, espumas, verrines, bruschettas et bien entendu macarons sont autant de mets qui vont et viennent au fil des décennies. Bénédict Beaugé, auteur, essayiste gastronomique, nous précise également qu’à l’heure actuelle nous assistons à un renouvellement grandissant des cartes de restaurants qui affichaient autrefois uniquement leurs spécialités.
Tout comme en haute-couture, les étoiles ne sont pas rentables mais primordiales pour assurer la notoriété du chef et de sa cuisine nous précise Caroline Raymond, directrice Marketing et Communication de la Maison Pic. Le restaurant triple-etoilé sera le vaisseau amiral du cuisinier.
Jean-Michel Duriez, parfumeur créateur, prend alors la parole et nous raconte sa formidable collaboration avec le pâtissier Pierre Hermé lors de l’édition de leur ouvrage « Au cœur du Goût » en 2012. Pierre Hermé a, rappelons-le, remis au goût du jour le gâteau meringué « macaron » alors qu’il faisait ses armes au sein de la Maison Ladurée. Il fut le pâtissier de grand talent qui eut l’ingénieuse idée d’inclure une ganache entre les deux coques moelleuses du biscuit. La Maison Ladurée rendit populaire ces pâtisseries en les colorant de manière acidulée en fonction des saisons. Hermé a, depuis toujours, classé ses macarons en « collections » terminologie largement associée à l’univers du sucré, de la gourmandise.
La question demeure : de quelle manière un parfumeur et un pâtissier sont-ils amenés à collaborer ensemble ? Quels points de convergence ces deux univers trouvent-ils ? La réponse se trouverait alors dans les saveurs. Jean-Michel Duriez, parfumeur créateur nous précise alors « Tous les sens sont en éveil, ce sont des émotions fluides mais invisibles ». Il rappelle « quand vous goûtez, vous sentez aussi ». Le chemin entre le nez, la bouche, l’estomac et le cœur ne ferait qu’un. Saveur et odeur forment un tout (bien qu’encore une fois leurs propriétés semblent à première vue être dissociables) : comme le rappelle la science, lors que vous perdez l’olfaction (anosmie), vous perdez également le goût. Les papilles gustatives perçoivent le sucré, le salé, l’amer ou l’acide pendant que l’odorat identifie la substance. Enfin, chacun des deux se jouent d’émotion ! Proust avait sa madeleine, Marylin Monroe son parfum Chanel n°5. Cette tendance « gourmande » du parfum est arrivée avec le parfum Angel de Thierry Mugler. L’autre lien est aussi la palette disponible de matières premières (les fruits, les aromates etc.). Le principe est d’utiliser le monde du parfumeur, véritable mélangeur d’accords et le faire entrer dans le monde la cuisine : c’est le point de départ de l’union d’Hermé et de Jean-Michel Duriez, une rencontre humaine. Comme il le rappelle très justement, les parfumeurs aussi ont un rôle en perpétuelle mutation : ils sont aujourd’hui intégrés aux maisons de luxe tandis que certains chefs à la renommée internationale furent acceptés au sein du Comité Colbert pour incarner la France aux yeux du monde.
Selon Caroline Raymond, directrice Marketing et Communication de la Maison Pic, ce qui a changé en cuisine, c’est l’arrivée de chefs internationaux, décomplexés dans leur manière de cuisiner. Leur gastronomie est moins codifiée donnant, espérons-le, plus de place à la créativité et à l’enchantement. La gastronomie est alors élaborée dans une logique de l’offre selon Caroline Raymond. La concurrence se joue désormais sur le champ de la communication et du marketing. La mise en scène d’un univers est primordiale. La Maison Pic prend grand soin de l’expérience en restaurant : service millimétré, histoire des plats présente sur chacune des tables (les clients ont la possibilité de ramener chez eux les dépliants présentant le storytelling de la marque), effort créatif en perpétuel renouvellement…l’imaginaire autour d’Anne-Sophie Pic se doit d’être fidèle, cohérent, onirique. Elle confie qu’en tant que directrice marketing, elle mit de nombreux mois avant de percevoir l’entièreté de l’univers d’Anne-Sophie, de comprendre sa véritable signature. De surcroît, nous assistons à une véritable libération de la critique : le rôle du critique gastronomique a subit des mutations profondes surtout grâce à l’arrivée du digital ! N’importe quel internaute lamdba est en mesure de donner son avis sur les plats qu’il dégustera ou l’atmosphère qu’il ressentira.
Sur les réseaux sociaux notamment, le « Food » est le troisième sujet de conversation. 50% des contenus de Pinterest sont ainsi liés à la cuisine ou à la nourriture tandis que l’on recense 1,6 millions de posts sur le hashtag #nomnom (miam miam en français) (source : digitalpost). D’importantes communautés de mangeurs connectés se sont également développées en ligne comme Yelp.
Le digital permet alors :
D’après Laurent Aron, sémiologue, directeur du Laboratoire de Créativité, Ecole Ferrandi, nous sommes en pleines ères de « Jeu » et du « Je ». Nous sommes dans un rapport tensif entre l’immatériel et le matériel : chacun a besoin de vivre une expérience matérielle où le goût s’insère dans le registre du fantasme.
La consommation se fait, d’une part, plus individualisée alors que la cuisine à tendance à se partager davantage (tapas, planches de charcuterie à partager, apéritifs dinatoires…). Selon lui, il existe à l’heure actuelle trois sortes de « Je » :
A chaque stade, la relation devient plus individuelle ! C’est le rapport à la nourriture lui-même et les comportements de consommation alimentaire qui ont profondément évolué. La junk food est de plus en plus relayée au second plan au profit d’une cuisine healthy et gourmande, riche de couleurs et de saveurs. De nouvelles exigences de qualité mais également de plaisir apparaissent. « Dis-moi ce que tu manges et je te dirais qui tu es » n’a jamais été autant d’actualité. Le rapport à la nourriture est aussi hybride : nous sommes dans un lien plus émotionnel, intimiste mais nous aimons aussi partager ce que nous mangeons avec nos pairs via les réseaux sociaux. Quand manger ou cuisiner deviennent une vraie expérience de vie, un ancrage, un levier puissant d’auto-valorisation et plus seulement un besoin vital, primaire.
Le digital est ici au cœur débat et peut s’avérer être un outil majeur de réassurance vis-à-vis des produits utilisés (à l’heure où la méfiance s’installe partout) avec des dispositifs de traçabilité importants mais également un levier de démonstration efficace d’un savoir-faire, d’une différence.
Sur cette thématique importante, prennent la parole Marc Bayard, conseiller culturel au Mobilier National, Initiateur du Slow Made et Nicolas Rizzo, responsable du développement, à l’Institut National des Métiers d’Art.
Marc Bayard est entre autre l’initiateur du Slow Made, mouvement pour la promotion des métiers du savoir-faire et de la création (mouvement qui a reçu le parrainage du ministre de la Culture et de la Communication et qui est soutenu par le Mobilier national et l’Institut national des métiers d’art).
Le temps à une dimension centrale ici. Avant toute chose, le Slow Made ne promeut pas le « temps long » mais le « temps nécessaire » à la création de toute chose. Que ce soit en couture, en art ou en gastronomie, le temps du geste juste, de la conception, de la réflexion, de la transmission sont autant de facteurs garantissant l’excellence et la qualité du produit fini.
Interviennent ici l’amour du geste, l’adoration des savoir-faire.
Le Slow Made s’inspire à l’origine du Slow Food, un mouvement culinaire de 1980 venu d’Italie, né en réaction au « Fast Food », qui prône les valeurs culturelles, éthiques et écologiques de la gastronomie.
« C’est tout ce qui, associé à la créativité, la qualité et à la promesse d’un usage long, donne son caractère unique au luxe », estimait à l’époque Stéphane Truchi, président du directoire de l’Ifop (source Les Echos).
Nicolas Rizzo, responsable du développement de l’INMA, quant à lui dresse un pont tout particulier entre l’ascension des chefs et la route que pourraient suivre les artisans d’art pour asseoir leur savoir-faire et maximiser leur notoriété auprès d’un public averti ou non. Selon lui, les artisans d’art peuvent s’inspirer de la mue des chefs dans le changement de leur business modèle, l’image de leur métier et la création de marques fortes avec un storytelling abouti et enchanteur.
Les métiers d’art souffrent d’un manque évident de stratégies marketing adaptées à leurs entreprises des métiers d’art, et cette absence de stratégie marketing et de branding s’explique par des moyens économiques limités au sein de l’entreprise notamment pour les plus petites et fragiles mais également à cause d’une question de « culture d’entreprise ».
Quelles sont alors les solutions proposées pour palier à ce manque de notoriété ?
Une très belle soirée, organisée par le Club Essec Luxe, où se sont rencontrés des experts multidisciplinaires autour d’une réflexion : la gastronomie.
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